Récit de voyage par Céline Di Nota, responsable des voyages naturalistes aux Amériques pour Escursia.
Je viens de traverser le Paradis, les sens en alerte, avec un petit groupe de voyageurs naturalistes! Émerveillée, au-delà de mes espérances, par un tel festival nature, je ne suis pas prête d’oublier ces moments de communions et de rencontres indescriptibles qui ont fusé en plein cœur !
Le 21 septembre 2018 – Cuiaba, Brésil
Fazenda Caranda, « Caramba » ! Que bella…. Nous arrivons de nuit, après un long périple.
Le festival commence dès que nous quittons l’asphalte.
Au crépuscule nous embarquons à bord d’un camion 4×4 type safari. La piste est étroite, bordée d’étendues sauvages à perte de vue. La lumière rasante fait ressortir l’ocre de la terre ; sans repères, nous nous laissons transporter les yeux écarquillés, le visage au vent … En chemin, l’ambiance est comme suspendue, et la faune commence déjà à se laisser percevoir.
La nuit tombe, l’air est chaud et la végétation que nous devinons dessine des ombres chinoises éparses. Le sol est illuminé par un tapis de lucioles. Un couple de renards nous regarde passer, plus loin un raton laveur s’engouffre dans les fourrés. Un tatou renifle la terre, une biche nous toise de son regard de velours…. Cela foisonne dans tous les sens. Nous avons quitté la civilisation. Notre guide brésilien est naturaliste, il s’appelle Paulo mais il sera vite surnommé « œil de Lynx » tellement il semble faire corps avec les lieux.
Le réveil à la Fazenda est comme un songe, nous sommes au cœur du Pantanal. De bon matin nous embarquons à bord d’une grande barque. Nous suivons au fil de l’eau le battement des ailes des martins pêcheurs, il y a des caïmans partout figés sur les berges. Des yeux flottent sur l’eau, des centaines d’oiseaux tapissent la cime des arbres. Les singes hurleurs ricanent, les capibaras nagent devant nous. Une famille de coatis gratte les racines aériennes. Entre murmures, chants et craquements, tous nos sens sont en éveil. Le temps n’existe plus ! Sur la terre ferme, un jaguar a déposé son empreinte sur le sable… Cela fait juste vingt-quatre heures que nous sommes là, et cela ressemble déjà à un rêve éveillé.
La Fazanda Caranda est une immense propriété familiale dédiée à l’élevage de bovins et de chevaux. Nous sommes accueillis chaleureusement par les propriétaires. Nous sommes seuls et nous aurons l’exclusivité de le rester durant les trois jours merveilleux dédiés à explorer ce décor idyllique.
Nos journées ondulent au rythme du Soleil. On se déplace dans notre gros pick -up. Les pistes sont splendides. Les arbres en fleurs se déploient et s’entremêlent. Je retrouve les essences tropicales et le royaume de la faune sauvage : mon terrain de jeu préféré !
La saison sèche permet d’emprunter des sentiers et d’approcher à pied cette nature abondante. Chaque journée réserve son lot d’émerveillement, et entre rencontres furtives et indélébiles nous nous sentons privilégiés d’assister à ces scènes uniques de vie sauvage.
2ème jour au Pantanal.
C’est au lever du soleil que nous partons à la rencontre des habitants du Pantanal. Des oiseaux, des oiseaux et encore des oiseaux !
La chaleur est de plus en plus forte, nous nous enfonçons dans la végétation à la recherche d’ombre et nous tombons face à face avec un caïman en train de dévorer un de ses congénères ! Les Caïmans sont cannibales ! En repartant deux cerfs majestueux cavalent au bord d’une épaisse couche de jacinthes d’eau. C’est d’une beauté à couper le souffle. Une famille entière de Coatis nous fait le bonheur de traverser un à un devant nous. Plus au loin un arbre se démarque par ses branches dénudées et dorées. On devine une tache bleue ! C’est un Hyacinthe. Le perroquet bleu aux yeux sertis de jaune.
L’apothéose en fin de journée, quand entre le soleil rouge et la lune pleine immaculée, un ballet de Jabiru vol au-dessus de nous ! Paulo nous emmène alors au bord d’une lagune, une centaine de caïmans sont lovés les uns contre autres sur la berge, statufiés, prêts à plonger. Ils semblent attendre le coucher du soleil et admirer un nuage d’Ibis posé sur les arbres de l’autre côté de la rive. C’est saisissant ! Instant de communion. Nous restons là, à contempler la beauté du lieu et savourer l’instant. Nous sommes assis à un mètre d’eux ! Plus rien ne bouge à terre, seul le chant des oiseaux et des cigales rythment notre respiration. Des chauves-souris frôlent le miroir d’eau. Quelle intensité ! Nous devenons et appartenons à cette nature sauvage ! On terminera cette journée la tête dans les étoiles à regarder la croix du Sud !
Nous quittons le cœur serré les sites fabuleux d’observations de la Fazenda Caranda sans nous douter que nous ne sommes qu’au début de rencontres fascinantes ! Nous avons rejoint la mythique Transpantaneira, longue piste de terre battue qui mène à Porto Joffre, où l’on a parait-il la chance de croiser aux abords de la rivière Cuiaba, la star du Pantanal, le Jaguar !
En route nous vivons notre premier orage. Nous arrivons dans notre nouvelle fazenda, nous ne sommes plus seuls, l’hébergement est plus classique, forcement trempés comme nous sommes c’est un peu la douche froide. Mais au réveil, les alentours semblent prometteurs. Aujourd’hui toujours au milieu d’oiseaux de toutes les couleurs nous avons la chance d’observer le Grand Potoo, l’oiseau mimétique avec l’arbre, un énorme Tapir, une famille Sagüi, de tous petits singes, des Varans, un Renard et un Chevreuil en train de s’abreuver ensemble au bord d’une lagune… Dans la nuit nous avons le droit à la visite d’un Fourmilier Géant qui se dirige tranquillement vers la cuisine de l’hébergement au milieu de voyageurs ébahis face à cette apparition !
Une expérience mitigée qui laisse perplexe de voir cet animal se balader le long de nos chambres…
Et en même temps quelle rencontre ! Quel animal étonnant !
En ce jour de pleine lune les éléments sont intenses. Une grosse chaleur cède la place à une mini tornade qui fait tournoyer toute la végétation environnante. Les arbres sont en furie, laissant échapper des milliers d’étoiles de graines volantes, de feuilles et de cotons dans les airs. Ce spectacle ne dure que quelques minutes, nous laissant sans voix, calfeutrés les uns contre les autres dans le pick up. Encore une journée hors du temps.
Voilà nous y sommes ! Nous arrivons au bout du bout de la Transpantaneira. Nous logeons dans un hôtel au bord de l’immense rivière Cuiaba, réputée comme l’ultime frontière du monde sauvage en Amérique latine ! La tension monte, les attentes se font sentir, le graal rode dans les parages. Quatre jours pleins sont consacrés à cette quête. C’est phénoménal, dès notre première sortie en bateau nous assistons aux ébats amoureux d’un couple de jaguar, là sur une petite plage au bord de la rivière. L’apparition est forte, impactante ! On ne sait pas trop comment appréhender une telle scène de vie sauvage.
On est à peine à 10 mètres, d’autres bateaux arrivent. Les jaguars ne semblent pas perturbés par notre approche. Nous sommes au moins une cinquantaine d’humains rivés sur ce couple magnifique.
Les rafales photographiques s’enflamment ! La nature ne doit pas être dérangée mais tout le monde est scotché, la magie opère !! Quelque chose se passe en nous ; tout chamboule. Les grognements, le site fabuleux et la beauté des félins subjuguent. Après un long moment de contemplation, nous repartons grisés à la recherche de deux autres jaguars repérés un peu plus loin. Les capitaines de nos embarcations nous transportent jusqu’à eux. Nouvelle apparition. Deux jaguars se prélassent à l’ombre des grands arbres. L’un est couché et l’autre majestueux tel le sphinx nous regarde indifférent. Cette force tranquille donne l’envie de s’incliner.
Au fil de l’eau nous croisons les loutres géantes. Toute une famille apparemment, puisqu’au moins dix individus barbotent aux abords de la rive. Quelle scène joyeuse et pleine de douceur ! Elles jouent, leur nage est d’une fluidité étonnante, elles se frottent contre les troncs d’arbres, se prélassent… C’est le bonheur ! En fin de journée la rencontre atteint son comble lorsque, sur la berge, surgit une femelle jaguar et son petit. Nous ne sommes pas seuls à être surpris, un capibara vient de plonger à la vue des deux fauves. La maman jaguar le jauge mais ne l’attaque pas. Cette fois ci nous sommes tout seuls. Ils sont si beaux, le ciel est en feu ! Nous ne sommes qu’à la moitié de notre séjour, les jours suivants garderont la même intensité…
Merci à Paulo notre guide et à son sourire communicatif,
Merci à sa déontologie, à ses silences et à son amour pour cette terre en perpétuel renaissance qui grouille de vie.
Merci à mes compagnons de voyages, qui ont su vivre l’instant en retrouvant l’énergie de leurs 20 ans